La liste des exactions commises par les forces de sécurité en Afrique dans la lutte contre le « terrorisme », s’allonge mois après mois. Le plus souvent, les gouvernements nient et couvrent les bavures attribuées à leurs troupes avant, parfois, de les reconnaître, comme vient de faire le Cameroun, mardi 21 avril.
Au Cameroun, retours sur le massacre de Ntumbo
Le massacre de Ntumbo, dans le nord-est de ce pays, dans la nuit du 13 au 14 février dernier, avait fait grand bruit. Selon l’ONU, 23 civils, dont 15 enfants (neuf de moins de 5 ans) et deux femmes enceintes, avaient été tués dans le cadre d’une opération conduite contre les séparatistes anglophones. Yaoundé démentait alors fermement l’implication de ses forces de sécurité, évoquant un tragique accident.
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Une version que contestent les observateurs, les ONG de défense des droits de l’homme et, discrètement, les chancelleries occidentales. « Les forces gouvernementales et des membres de l’ethnie peule ont tué au moins 21 civils, dont 13 enfants et une femme enceinte (…) dans des conditions horribles », avait accusé, le 28 février, Human Rights Watch (HRW). Pour l’ONG, les meurtres avaient été commis par 10 à 15 « militaires du Bataillon d’intervention rapide, unité d’élite de l’armée camerounaise, et au moins 30 Peuls armés ».
Yaoundé admet la responsabilité des militaires
La présidence camerounaise a finalement reconnu que trois soldats et un groupe d’autodéfense étaient directement impliqués dans cette affaire, ils ont été arrêtés. Selon les premiers éléments d’une enquête diligentée par Paul Biya, rendue publique le 21 avril, les civils auraient été tués dans un échange de tirs entre ces militaires et des « rebelles séparatistes ».
Après avoir « découvert que trois femmes et dix enfants avaient péri du fait de leur action », affirme cette enquête, « trois militaires aidés de certains membres du comité de défense, ont tenté de masquer les faits par des incendies ». Aucun officier supérieur, aucun responsable régional, aucune personne chargée de l’encadrement et de l’entraînement de ces hommes, n’ont été inquiétés dans ce dossier.
Au Burkina Faso, l’armée fortement soupçonnée du massacre Djibo
Comme au Cameroun, les forces de sécurité burkinabées sont régulièrement soupçonnées et accusées de commettre des crimes de guerre dans la lutte qu’elles conduisent contre le « terrorisme ». Dernière affaire en date, l’exécution de 31 détenus à Djibo (200 kilomètres au nord de la capitale Ouagadougou), le 9 avril.
HRW, qui a enquêté sur cette tuerie, a fait part de ses conclusions le 20 avril : « Selon les habitants, des dizaines de membres des forces de sécurité ont été impliquées dans l’opération du 9 avril (…). Les victimes ont été interpellées dans plusieurs quartiers ou « secteurs », alors qu’elles étaient en train d’abreuver leur bétail, de marcher ou étaient assises devant leurs domiciles. » Elles ont été placées « à bord d’un convoi formé d’une dizaine de véhicules militaires, dont des camionnettes, une voiture blindée et des motos ».
Plus tard, ajoute HRW, d’autres villageois ont retrouvé « les corps de 31 hommes qui avaient été vus pour la dernière fois sous la garde des forces de sécurité. Plusieurs d’entre eux avaient les yeux ou les mains liés. »
Sur la base de cette enquête, Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest de HRW, a publiquement demandé aux autorités burkinabées d’enquêter « de manière urgente et impartiale sur ce crime de guerre présumé et suspendre les commandants des forces de sécurité impliqués, dans l’attente des conclusions de l’investigation. »
Au Tchad, aussi
Au Tchad, à présent, c’est le Procureur de la République Youssouf Tom qui a annoncé, samedi 18 avril, à la télévision que 44 combattants de Boko Haram, faits prisonniers pendant l’opération lancée au début du mois contre le groupe djihadiste, avaient été retrouvés morts deux jours plus tôt par leurs geôliers à N’Djamena. Il a indiqué que l’autopsie, réalisée sur quatre corps, avait révélé la présence d'une substance toxique dans l’organisme, ayant entraîné « une crise cardiaque pour les uns » et « une asphyxie sévère pour les autres ». Et de préciser que les 40 autres corps ont déjà été enterrés.
Cette annonce a soulevé la stupéfaction de la société civile au Tchad. Suicide collectif, mauvais traitements ou assassinats ? Pour l’heure, il n’est pas possible de trancher. Mais le régime de Déby est régulièrement dénoncé pour ses violations des droits de l’homme et le comportement brutal de ses forces de sécurité.
Outre qu’elles favorisent le soutien populaire à ces groupes armés, ces exactions posent la question du soutien armé apporté à ces trois régimes - camerounais, burkinabé et tchadien - par leurs alliés internationaux, France, États-Unis et Union Européenne, qui les entraînent, les équipent, et les appuient. Comme l’écrit HRW à propos du massacre de Djibo : « Les acteurs internationaux devraient veiller à ce qu’aucune partie de l’assistance militaire fournie aux forces de sécurité burkinabées ne soit utilisée par des unités responsables de ce massacre, ou d’autres atrocités pour lesquelles personne n’a dû rendre de comptes à ce jour. »