La surpopulation carcérale atteint en France des records historiques. Entre les entrées et les sorties, ce sont 600 personnes détenues de plus chaque mois. Dans beaucoup de cellules de maisons d’arrêt, les conditions sont en dessous des normes européennes pour les chenils (5 mètres carrés minimum par chien).
Un problème mal posé a peu de chance de conduire à une solution. Si l’augmentation de la surpopulation carcérale peut laisser croire à une hausse massive de la délinquance, rien n’est moins évident si on compare les courbes des condamnations et de l’évolution démographique.
Arnaud Philippe montre dans La Fabrique des jugements (Éd. La Découverte, 2022) que la correctionnalisation d’infractions jusqu’alors passibles de contraventions a eu un impact important depuis vingt-cinq ans. En outre, la comparaison entre l’évolution du nombre de personnes détenues et celle du nombre de condamnations manifeste plutôt un allongement des peines qu’une augmentation du nombre de délits ou de crimes.
Un cercle vicieux
L’observation de plusieurs données met en évidence des causes multifactorielles de l’augmentation de la surpopulation pénale : la loi sur les peines planchers (incidence : + 7 %) sans effet sur la récidive, l’augmentation des mises en cause pour trafic de stupéfiants (ministère de l’intérieur), l’augmentation des poursuites pour violences sexuelles (+ 12 % par an entre 2016 et 2023) et violences intrafamiliales (+ 136 % entre 2017 et 2023) – l’un et l’autre étant dus à un changement de culture plus qu’à une augmentation du nombre de faits, la conduite sous l’emprise de stupéfiants – liée au dépistage par test salivaire depuis 2016, la baisse du nombre de lits en hôpital psychiatrique qui coïncide avec l’augmentation dans la population pénale d’un public relevant de la psychiatrie, le taux de récidivistes parmi les personnes condamnées qui est passé de 0,7 % en 1984 à 18,6 % en 2021 pour les délits, et de 0,4 % à 10,9 % pour les crimes.
La surpopulation carcérale contribue à une prise en charge dégradée – sentiment d’humiliation, augmentation de la violence et de l’oisiveté, perte du sens du travail pour les agents pénitentiaires. La dégradation des conditions de détention contribue à augmenter la récidive qui contribue à accroître la surpopulation… Un cercle vicieux dont on ne sortira pas avec des simplismes.
Faire le pari du meilleur de l’autre
L’idée reçue d’un « laxisme » de la justice prospère dans l’opinion, alimentée par l’écart entre les peines prononcées et les peines encourues, c’est-à-dire la peine maximale susceptible d’être prononcée pour un délit ou un crime, alors que paradoxalement les peines ne cessent de s’allonger, selon l’institut des politiques publiques.
Cet écart est notamment dû à l’agitation des politiques réagissant émotionnellement à chaque fait divers en augmentant les encourus pour donner l’impression d’agir. Les effets sont contre-productifs. L’étude indiquée en note (1) a simulé une hausse des peines prononcées pour les rapprocher des peines encourues. Cela conduit à un taux d’incarcération multiplié par 7, portant le budget de l’administration pénitentiaire à « la moitié de celui des armées et un tiers de celui de l’éducation nationale ». Est-ce la société que nous voulons ? En avons-nous les moyens ?
On voudrait nous faire croire qu’expulser les détenus étrangers résoudrait le problème. Une étude (2) montre que si la part d’étrangers dans la population pénale est plus importante que dans la population générale, cela s’explique par les délits relatifs à la législation sur les étrangers (la loi a été amplement durcie à leur endroit), leur pauvreté plus importante (la précarité augmente le risque de délinquance). À situations semblables, ils sont plus condamnés que les Français : s’ils sont plus de 22 % de la population carcérale, ils ne sont que 17,3 % des personnes condamnées en 2023.
Il est urgent de se demander quelle justice nous voulons pour quelle société ? L’impasse où nous sommes aggrave le problème et l’insécurité. Différents choix politiques sont possibles, à condition qu’ils ne reposent pas sur des contrevérités. Faire le pari du meilleur de l’autre est le seul chemin pour une justice qui restaure, et c’est l’intérêt de la société, à commencer par les victimes, que celles et ceux qui sortent de prison soient meilleurs qu’en y entrant. Tous devraient y contribuer. Les conditions actuelles produisent l’inverse. Désespérer de l’autre, c’est produire un monde invivable. Aumôniers et chrétiens, nous sommes légitimes pour faire entendre une autre voix.