À l’heure de l’accélération des grandes mutations sociétales et des émotions qu’elles suscitent, des débats sur le sens de l’histoire dans un monde assombri et de la résurgence des millénarismes, n’est-il pas opportun, en cette année du « Jubilé de l’espérance », de clarifier le sens « eschatologique » de l’espérance chrétienne ?
L’horizon auquel l’espérance de la foi chrétienne nous entraîne est celui de l’avènement du « temps accompli » (Mc 1, 15) dont les lueurs, depuis la résurrection de Jésus, éclairent notre temps inaccompli. Or, « la puissance de l’avenir, écrivait le théologien de l’espérance Jürgen Moltmann, c’est la puissance de Dieu dans le temps ».
Active dans le quotidien de nos vies, la puissance de l’Esprit du Christ travaille notre monde en confortant la croissance du « bon grain », celui de l’entraide et d’une coopération inclusive (Mt 25, 31-46). Discerner le labeur du Christ « avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20) attire au dynamisme de l’espérance en coopérant à l’énergie libératrice et révélatrice de sa Pâque au sein même des convulsions planétaires, sociétales et écologiques.
L’intensité et la célérité inédite des délitements du système Terre provoqués par les activités humaines, sur lesquels les scientifiques ne cessent de nous alerter, semblent, en effet, agir tel un catalyseur de la révélation biblique finalisée par la « Parousie », le retour du Christ à la fin des temps. Comment l’entendre et le comprendre sans dériver vers une vision « fasciste de la fin des temps » (Naomi Klein) et autres millénarismes complotistes ?
Enthousiasmante apocalypse
Depuis l’effusion pentecostale, l’Esprit du Christ ressuscité est l’acteur principal de la révélation évangélique dans le cours des « temps derniers » – l’eschaton – inaugurés par sa Pâque. Il agit dans la chaîne des bouleversements présents en « dévoilant » les racines humaines de la méga crise socioécologique (Laudato si 101-136) et ses alternatives salutaires (Laudato si 137-162).
Celles-ci sont « révélées ». Alors oui, « enthousiasmante apocalypse » écologique (Bruno Latour). Car si la nouvelle ère géologique dans laquelle nous entrons, caractérisée par la souffrance climatique et l’effondrement du vivant, dévoile l’ensommeillement spirituel et éthique qui l’a provoqué, elle est plus encore révélatrice des voies résilientes à emprunter et des métamorphoses sociétales à réaliser.
Dans un tel contexte, l’espérance « ne déçoit pas » (Rm 5, 5). Capteur de l’amour divin dans l’aujourd’hui de nos vies, l’espérance s’en retrouve renforcée en sa capacité à aimanter les profondeurs de l’esprit humain, à guérir, réveiller et réhabiliter ce dernier dans son aptitude « responsoriale ».
Car il s’agit bien, face à ce qui nous arrive, de se positionner et de s’engager dans la cité humaine, de répondre aux appels du Dieu vivant au travers du prochain et de sa création confiée à notre libre arbitre. « Qu’as-tu fait de ton frère dont le sang crie de la terre vers moi ? » (Gn 4, 10). Que faisons-nous de nos proches en humanité tout comme de toute altérité autre qu’humaine ?
Vivre d’espérance
L’espérance donne vigueur au beau combat de la foi : servir la justice du « Royaume des cieux » qui est salut pour « tout ce qui vit et respire » (Ps 150, 6). Là est le grand défi contemporain de nos communautés et de la famille humaine : soutenir la régénération pascale du monde initiée par l’amour de Dieu en Jésus-Christ.
Dès lors, vivre d’espérance engage à prendre soin tant du migrant rejeté, du sans-abri désespéré, du salarié en burn-out, des sans-papiers exploités, des personnes âgées isolées… que du vivant dévasté, des forêts ravagées, des mers et rivières polluées, des animaux victimes de contrebandiers ou séquestrés dans les espaces concentrationnaires de l’élevage industriel.
Espérer, c’est résister à ceux « qui mangent le peuple de Dieu quand ils mangent leur pain » (Ps 13, 4). Quel est ce « pain » dont la dévoration est synonyme de dévastation sociale et de prédation environnementale ? Il n’est autre que le pain de la fraude fiscale, le pain d’une exploitation esclavagiste, le pain de la frénésie productiviste consumériste, le pain d’une croissance irrespectueuse des limites planétaires, le pain de la cupidité et de l’avidité.
Une conversion à l’Evangile
Espérer l’efflorescence du mystère pascal à toute l’humanité et, avec elle, au jardin de la création confiée à notre liberté nous établit en synergie avec la « puissance de Dieu » manifestée dans la sagesse de la croix (I Co 1, 24). L’amour du Christ et l’espérance qui se tourne vers lui incluent l’amour de la terre et l’attente proactive de sa transfiguration eschatologique.
Nul ne va au Ciel dans le mépris de la Terre. L’espérance de la foi recontextualisée est sise au cœur de la « conversion écologique » (Jean-Paul II). Celle-ci n’est autre qu’une conversion à l’Évangile du Christ élaguée des errements d’un « anthropocentrisme despotique » (Laudato si 68).
Synonyme d’une réelle bifurcation existentielle, la conversion « éco-évangélique » réfracte le regard de Dieu sur toute créature dans l’aujourd’hui de notre monde en profonde mutation. Ne doutons pas qu’elle soit aussi l’expression actualisée de l’espérance chrétienne, de l’urgence contemporaine d’une vie en Christ tendue vers sa parousie, sans vaine spéculation sur « le jour et l’heure » (Mc 13, 32).