Alors que les déplacements forcés de populations atteignent des niveaux records à travers le monde, le nouveau pontife incarne un héritage de soin qui dépasse largement son expérience personnelle. Depuis son élection le 8 mai, de nombreuses spéculations ont entouré les priorités futures du pape Léon XIV, notamment en matière de désarmement, de changement climatique et de migration. Ces discussions se fondent surtout sur ses précédentes expériences pastorales au Vatican et en Amérique.
Cependant, je soutiens que l’ascension de Robert F. Prevost n’est pas simplement l’histoire d’un ancien évêque missionnaire au Pérou. Son parcours témoigne d’un appel spirituel profond et d’une tradition : l’engagement constant de l’Église envers ceux qui sont en mouvement.
Cela ne devrait pas nous étonner : tout au long de son histoire, le christianisme a cultivé le principe fondamental de philoxénie, c’est-à-dire l’amour et l’hospitalité envers l’étranger et le migrant. Dès le début du XIXe siècle, l’Église catholique a mis en place une approche structurée pour prendre en charge les flux migratoires. L’augmentation démographique en Europe et les politiques migratoires libérales en Amérique ont contribué à un afflux de migrants, estimé à 400 000 par an jusqu’en 1880, atteignant un pic de 2 millions en 1910. C’est l’émigration des Italiens, notamment vers les États-Unis, qui a incité les papes de l’époque à réagir, face aux critiques croissantes concernant la « perte alarmante de foi » chez les migrants, dénoncée lors du concile de Baltimore en 1883.
Contrairement aux catholiques allemands soutenus par le patronage de Saint-Raphaël (1872), les Italiens se retrouvaient souvent sans soutien pastoral dans leur pays d’accueil. Sous le pontificat de Pie IX (1846-1878), plusieurs ordres religieux ont ouvert des missions pour soutenir les Italiens à l’étranger, soutenus par la congrégation Propaganda fide (le bureau de l’Église pour l’évangélisation). Le pape Léon XIII (1878-1903), dont le nom est repris par notre pontife actuel, a apporté un soutien financier à ces initiatives.
Pastorale des migrants
Mgr Scalabrini a été le premier à proposer la création d’un dicastère au sein de la Curie romaine, dédié spécifiquement à la pastorale des migrants catholiques « de toutes nationalités », au lieu de se concentrer uniquement sur les Italiens à l’étranger. Scalabrini a mis en avant la nécessité d’une action pastorale systématique qui offrirait une nouvelle opportunité d’« évangéliser de nouvelles terres » et favoriser l’unité entre les peuples.
Une fédération d’ordres religieux pour les Italiens en Amérique (Italica Gens) a ainsi vu le jour, incluant les pères augustins, entre autres. L’un de ces secrétariats américains se trouvait à Philadelphie, dans une paroisse dirigée par les augustins. En 1912, Pie X a créé un bureau pour traiter des « problèmes migratoires » au sein de la Congrégation consistoriale, qui deviendra plus tard la Congrégation, puis dicastère, pour les évêques.
Frère, missionnaire, évêque, élu à la veille du « dimanche du Bon Pasteur », le pape Léon XIV incarne l’héritage des siècles de soutien pastoral aux migrants. Il a dirigé l’ordre de saint Augustin (2001-2013) et le dicastère pour les évêques (2023-2025). L’attention de l’Église envers les migrants n’est ni ponctuelle ni accessoire. Elle fait partie intégrante de son identité ; elle est inscrite dans l’ADN de l’Église, qui a depuis longtemps accueilli l’étranger. Léon XIV a emprunté un chemin tracé par de nombreuses institutions au sein de l’Église. Grâce à cet engagement dans le temps, il est fort probable qu’il poursuive les réformes entamées par son prédécesseur.
Le bureau central du Saint-Siège pour les soins pastoraux des migrants et des réfugiés – la section migrants et réfugiés – a été créé en 2016 dans le cadre de la réforme de la Curie initiée par le pape François. À l’origine un organisme quasi indépendant au sein du dicastère pour la promotion du développement humain intégral, cette section a rassemblé plusieurs bureaux, dont ceux dédiés à la justice, à la paix et aux migrants. En janvier 2023, dans le cadre de la nouvelle Constitution apostolique Praedicate evangelium, la section a été pleinement intégrée au dicastère avec des fonctions réorganisées. Son préfet est le cardinal Michael Czerny, sj.
Une expérience en Amérique latine
Fort d’une expérience de plusieurs décennies en Amérique latine et au sein de la commission pontificale qui porte le nom de ce continent, parmi d’autres bureaux de la Curie, la mission du pape Léon XIV est imprégnée de la spiritualité augustinienne et de l’institutionnalisation progressive des soins aux migrants au sein de l’Église. Il est clair que son expérience personnelle se mêle à la mémoire institutionnelle. Le résultat est, à mon sens, un engagement prometteur pour maintenir un dialogue constant entre tradition et transformation, où l’aide ne se limite pas à un principe abstrait, mais se traduit par une proximité tangible avec chaque migrant, réfugié et âme déplacée. Ses critiques en ligne contre les politiques d’exploitation et d’exclusion, longtemps avant de devenir pape, confirment cette intuition.
Avec la montée des migrations forcées, le pape Léon XIV réaffirme que la compassion de l’Église est également en mouvement. Son pontificat, situé à l’intersection d’un riche héritage missionnaire et de réformes progressistes, ouvre la voie à des rythmes multiples – une synthèse entre réflexion spirituelle et activisme concret, inclusif et engagé.