Dans son film dystopique Civil War sorti en 2024, Alex Garland imagine un futur possible où les États-Unis sont confrontés à une nouvelle guerre civile entre un gouvernement autoritaire et diverses factions régionales. Pour qui prête l’oreille aux « colombes » démocrates poussant des cris d’orfraie, les « faucons » du trumpisme auraient mis la démocratie américaine sur la voie du fascisme…
Pour comprendre ce qui se passe, et surtout se joue à Los Angeles autour des émeutes urbaines, il est impératif de sortir de la représentation partisane et fracturée entre le « camp du bien » et le « camp du mal », confortée par les grands médias qu’ils soient démocrates ou républicains, et exacerbée sur les réseaux sociaux. Bref, on l’aura compris aujourd’hui, qu’ils soient bons ou truands, la politique est brutale aux États-Unis.
Déjà posée par Alexis de Tocqueville entre 1837 et 1839, la vraie question porte sur les risques encourus par la démocratie américaine dans un glissement vers la « tyrannie de la majorité sur les minorités », dont le président en exercice serait le maître d’œuvre. Les images du déploiement des forces armées, de la garde nationale et des marines dans la Cité des anges semblent confirmer la prophétie du grand théoricien de la démocratie en Amérique. Mais que se cache-t-il vraiment derrière les apparentes scènes de guerre californiennes ?
Manifestations hostiles
Les récentes manifestations contre la mise en œuvre de la politique migratoire par les agents de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement), la police anti-immigration, qui ont entraîné de nombreuses arrestations de personnes présumées en infraction avec les lois sur l’immigration, se sont transformées en manifestations hostiles. En réaction, le président Trump a décidé de déployer 2 000 soldats de la garde nationale et quelque 700 marines dans la mégalopole démocrate de l’État de Californie.
Cette décision est fondée d’après Donald Trump sur les prérogatives présidentielles déterminées par la Constitution (article 12406 du titre 10 du code des États-Unis). Dans les faits, cette procédure se fait en concertation avec le gouverneur de l’État. Ce fut le cas lors des émeutes raciales d’avril-mai 1992, qui ont fait près de 60 morts, 2 300 blessés et un milliard de dollars de dégâts en six jours. L’intervention de la garde nationale a mis fin à ces émeutes, considérées aujourd’hui comme les plus violentes de l’histoire des États-Unis. D’ailleurs, le président Trump joue sur les peurs et le traumatisme occasionné pour justifier le déploiement rapide des forces armées.
Gavin Newsom
Or, le gouverneur démocrate Gavin Newsom, opposant de longue date au président républicain, a déposé un recours devant le tribunal du district nord de l’État de Californie pour faire reconnaître la violation du 10e amendement de la Constitution et l’illégalité du déploiement de l’armée. Ce tribunal vient de lui donner provisoirement raison. On l’aura compris, ce qui se joue est tout autre chose. Sur le terrain électoral d’abord.
Pour ceux qui se souviennent que le gouverneur démocrate Gavin Newsom était pressenti en juillet 2024 pour remplacer le candidat présidentiel Joe Biden, avant que Kamala Harris ne soit choisie, l’enjeu est à court terme : les élections de mi-mandat du Congrès en 2027 (renouvellement partiel des élus) et, pour l’édile californien, dans la foulée, la primaire du Parti démocrate qui lancera la course à la présidentielle de 2028.
Un État fort
En prenant la hauteur nécessaire pour inscrire cette mobilisation politique contre la politique de lutte contre l’immigration clandestine – mesure au cœur de l’agenda du 47e président américain (Agenda 47 est d’ailleurs le nom de son programme décliné tout au long de la dernière campagne présidentielle) –, dans une logique de transformation globale des institutions politiques fondant la démocratie libérale, on perçoit autre chose : un programme visant à instaurer un « État fort » façon Maga (Make America Great Again).
Celui-ci repose notamment sur la théorie de l’exécutif unitaire, héritage du président Madison, passant par l’instauration d’un pouvoir présidentiel contrôlant hiérarchiquement des organes étatiques (l’administration et les agences) totalement politisés et dociles. C’est dans cet objectif que la politique de « déconstruction de l’État administratif démocrate », menée par le fameux Doge (Department of Government Efficiency), a été confiée à Elon Musk.
Ce projet est porté par la faction populiste de l’élite trumpienne, dont l’archétype est le vice-président J. D. Vance, à la fois « péquenaud » (hillbilly) de l’Ohio et diplômé de la prestigieuse école de droit de l’université Yale. Pour lui, l’avènement de cet État fort est une étape nécessaire dans la transformation de la démocratie américaine version « post-libérale ». Un régime dans lequel les conservateurs de la droite nationaliste, isolationniste et chrétienne pourraient rétablir la défense des valeurs religieuses, familiales et des communautés locales. Les prochaines élections nous diront si l’institutionnalisation de cet État se confirmera dans le temps.