Tribune

Élection de Léon XIV : « Un pape canoniste, qu’est-ce que ça change ? »

Xavier Boniface
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Picardie Jules Verne, directeur de la Revue d’histoire de l’Église de France
Le nouveau pape Léon XIV (ici lors d’une rencontre avec le pape Jean-Paul II) a soutenu un doctorat en droit canon en 1987.
Le nouveau pape Léon XIV (ici lors d’une rencontre avec le pape Jean-Paul II) a soutenu un doctorat en droit canon en 1987. AUGUSTINIAN PROVINCE OF OUR MOTHER OF GOOD COUNSEL/HANDOUT / EPA/MAXPPP
Léon XIV, contrairement à ses trois prédécesseurs, est docteur en droit canon. L’historien Xavier Boniface se demande si cette formation va marquer le pontificat du nouveau pape, dans ses préoccupations comme dans son style. Il suppose qu’il pourrait être plus mesuré que le pape François dans certaines de ses interventions.

Dans les multiples portraits du nouveau pape qui sont en train d’être dressés par les médias, il est un point toujours mentionné mais rarement développé, peut-être parce que présentant un aspect un peu technique. En 1987, le jeune Père Robert Francis Prevost a soutenu, à l’Angelicum, un doctorat en droit canon, portant sur le rôle du prieur local des augustins, avant d’enseigner cette discipline au séminaire de Trujillo (Pérou).

De ce point de vue, au-delà des bases communes de la formation de tout ecclésiastique, Léon XIV se distingue de ses prédécesseurs immédiats par cette spécialisation : Jean-Paul II avait étudié et professé la philosophie, Benoît XVI était connu pour être un grand théologien et François, sans aller jusqu’à la soutenance du doctorat, avait également une solide formation de philosophie.

En revanche, sa formation de canoniste rapproche Léon XIV de nombreux autres papes du XXe siècle. Benoît XV (1914-1922), Pie XI (1922-1939), Pie XII (1939-1958) et Paul VI (1963-1978) étaient en effet tous titulaires d’un doctorat en droit canon. Cette formation est-elle un élément, sinon central, du moins important pour comprendre la personnalité du nouveau Souverain Pontife, et tenter d’identifier les contours de son exercice à venir du ministère pétrinien ?

Grande rigueur intellectuelle

Il est certain que le droit canonique aide à structurer l’esprit, à avoir une grande rigueur intellectuelle, à être précis dans l’expression des idées. Il n’est pas non plus tout à fait surprenant que Léon XIV ait suivi cette voie après des études de mathématiques, qui sont aussi un apprentissage de rigueur. Cette formation initiale peut expliquer pourquoi le futur pape a exercé plusieurs responsabilités, de l’échelle du diocèse à celle de l’Église universelle, requérant des compétences en doit canon. Il a ainsi été official diocésain (c’est-à-dire juge canonique), supérieur provincial puis prieur général de son ordre et enfin préfet du dicastère pour les évêques.

Quant aux autres papes docteurs en droit canon, ils sont tous passés par la diplomatie pontificale. Même si Léon XIV n’a pas un tel profil, il peut s’appuyer sur sa formation et les modes de pensée que celle-ci implique – ainsi que sur son expérience internationale – pour s’adapter sans trop de difficultés à cette dimension de sa charge. Est-ce un facteur, parmi de nombreux autres, qui a pesé dans le choix des cardinaux au conclave ? Au demeurant, la dimension canonique du ministère de Pierre ne doit pas être oubliée : c’est Jean-Paul II qui a promulgué le nouveau code de droit canonique en 1983, faisant suite à celui porté en 1917 par Benoît XV.

Après François, un changement de ton ?

Le pape François a pu étonner quelquefois ses auditoires par sa parole directe, sa façon de s’exprimer sans détour et de manière imagée. C’était son moyen d’interpeller les consciences. Quitte ensuite à revenir sur ses propos, à les préciser et à les nuancer, voire à présenter ses excuses, comme à propos d’un mot péjoratif qu’il avait employé pour désigner les homosexuels. Il y avait bien sûr la part de la personnalité du pape François dans ces sorties verbales parfois impromptues, notamment avec la presse.

Il est donc possible de supposer que Léon XIV, un canoniste formé à la précision juridique des termes, se montrera plus posé, au moins en apparence, plus mesuré dans l’expression de sa pensée, plus minutieux dans ses paroles. Ce serait alors un changement de ton dans une continuité globale de fond qui semble s’annoncer, autour de la priorité accordée aux pauvres et aux exclus. Un changement dans la lettre et non dans l’esprit.

Néanmoins, il ne faut pas non plus réduire l’homme, fût-il le pape, à sa formation principale et à sa spécialisation disciplinaire. Ainsi, les différents souverains pontifes ont souvent manifesté des centres d’intérêt variés, qui influencent aussi leur regard sur l’Église et le monde. Paul VI était féru de philosophie et, dans sa jeunesse, a traduit en italien des textes du philosophe français Jacques Maritain. Le pape François s’intéressait beaucoup à la littérature, à laquelle il consacra une lettre sur son rôle dans la formation le 17 juillet 2024. Il se rapporte que Léon XIV est « féru d’histoire chrétienne ». Tout cela laisse augurer une grande ouverture d’esprit.

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