D’un pape à l’autre, le style peut varier de façon importante. Rien ne garantit que la démarche synodale inaugurée par le pape François sera promue par son successeur. Pourtant, même si le prochain pape tournait le dos au style Bergoglio et cherchait à neutraliser ce que le synode a pu susciter comme attentes ou inquiétudes, il reste que la papauté est aussi un fruit de l’époque, et la nôtre pousse à la démarche synodale pour au moins trois raisons.
La première est que de nombreux travaux théologiques ont, depuis le XIXe siècle, engagé un rééquilibrage de la compréhension de l’Église par elle-même et de la Révélation dont elle est la gardienne. Pour dire ce qu’est l’Église et en saisir l’essence, ce n’est plus la hiérarchie d’abord et le pape en particulier qui sont regardés, mais le Christ, l’Esprit Saint et le peuple des baptisés. Quant à la Révélation, elle se rattache davantage à la relation et au salut que Dieu veut offrir à tout homme dans le Christ qu’à l’information quant à ce qu’il commande.
La démarche synodale est le visage d’une Église-communion où la dignité baptismale, le sens de l’Évangile et la conscience de la diversité des contextes humains favorisent la réception de l’agir de l’Esprit qui fait toute chose nouvelle. Un catholicisme dont le fonctionnement se recroquevillerait sur le clergé et une religion de la règle serait un retour en arrière.
Un destin collectif
Ce scénario ne manque pas de plausibilité, mais il entraînerait, dans les Églises locales, une recomposition du catholicisme comme une contre-culture en rupture avec la société, en retrait dans le dialogue des rationalités, avec les autres confessions chrétiennes et les autres religions, mouvement que les sociologues nous disent exister déjà et dont la force missionnaire tient aux réflexes de reproduction de classe et aux tendances identitaires. Après la fièvre des poussées rétrogrades souvent portées par des idéologies politiques autoritaires, ce serait la mort à petit feu d’un catholicisme fractionné en groupuscules intransigeants, s’honorant d’être les derniers des Mohicans.
La deuxième raison est que la démarche synodale a été revisitée par le pape François d’une manière qui pose quelques problèmes mais apporte aussi beaucoup de perspectives. Au sortir de Vatican II, Paul VI institua le synode pour que se perpétue l’expérience féconde de dialogue vécue lors du concile. François a changé la pratique du synode en ouvrant le vote à des personnes qui ne relèvent pas de l’épiscopat. Certes, la spécificité du charisme épiscopal pourrait être occultée par le procédé, mais on voit, sans beaucoup d’efforts, que le danger est facile à éviter.
Concomitamment, des perspectives extrêmement précieuses sont ainsi ouvertes, qui tiennent à ce que l’Église puisse bénéficier, au plus haut niveau de son gouvernement, là où s’élabore son destin collectif, des apports de religieuses et de laïcs, porte-parole de situations de terrain diverses et complexes, personnes dotées d’expertises et de points de vue variés. On voit mal comment l’Église pourrait vouloir se passer de cette richesse sans que s’ensuivent de grands dommages pour elle.
Laisser se développer les réalités locales
La dernière raison est que l’extension planétaire du christianisme et sa représentation par des évêques et des cardinaux venant des quatre coins du monde rend évidente la nécessité d’un équilibrage dans le rapport entre le centre romain et les réalisations locales, entre l’universel et le particulier. Le catholicisme se percevant comme une réalité de plus en plus symphonique, comment pourrait-il ne pas en tirer les conséquences pour son mode de gouvernement ? Les médias de masse et les réseaux sociaux ont pour conséquence le fait que le pape tende à devenir le curé du monde.
La synodalité continuée pourrait avoir un effet contraire. Elle n’est possible, en effet, que dans la conscience d’un pluralisme de fait, lequel est vu non comme une menace mais comme un atout en faveur de la communion. On peut faire l’hypothèse, à plus ou moins long terme, d’une nuance dans l’exercice direct du gouvernement central de l’Église que favorisent les moyens de communication d’aujourd’hui, d’une évolution vers une plus grande retenue du pape et de la Curie romaine, afin de laisser se développer les réalités locales et des réalisations originales du catholicisme.
Autrement dit, plus la synodalité sera assumée, moins le catholicisme romain pourra alimenter l’illusion de vouloir gouverner un groupe homogène. On voit combien la communion et la solidarité transnationales dans la diversité des cultures et des personnes, qui est le destin le plus « naturel » du catholicisme, est à contre-courant des inquiétantes tendances géopolitiques mondiales, lesquelles influencent aussi une partie de l’Église. Notre époque pousse à la démarche synodale, à condition de ne pas confondre l’esprit du monde et la compréhension de notre situation à la lumière de l’Évangile, ce que Vatican II appelait les signes des temps.