Tribune

Rapport sur les Frères musulmans : « Le véritable ennemi, c’est le wahhabisme »

Malik Bezouh
Physicien et essayiste spécialiste de la question de l’islam en France
Un fidèle musulman prie dans une salle de prière. (photo d’illustration)
Un fidèle musulman prie dans une salle de prière. (photo d’illustration) LIONEL VADAM / PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN
Ce mercredi 21 mai, un rapport sur les Frères musulmans a été examiné en conseil de défense, dénonçant leur stratégie d’« entrisme » pour imposer un islam politique en France. Mais pour l’essayiste spécialiste de la question de l’islam Malik Bezouh, le véritable danger réside plutôt dans le wahhabisme.

Depuis plusieurs années, on constate, au sein de la composante musulmane de notre pays, un retour vers une pratique religieuse plus assidue. Cela est particulièrement vrai pour les jeunes générations. Dans un pays, tel que le nôtre, où la liberté religieuse est inscrite dans la Constitution, cela, en principe, ne devrait poser aucun problème.

Cependant, ces « born again » de l’islam sont influencés par des courants ultra-rigoristes issus non pas de la confrérie des Frères musulmans, comme semble l’indiquer le rapport controversé du ministère de l’intérieur, mais plutôt du wahhabisme ; un courant sectaire, intransigeant, intolérant et issu d’Arabie saoudite, pays de naissance de Mohamed Ibn Abd Al Wahhab, fondateur, au XVIIIe siècle, de cette lecture littéraliste des sources canoniques de l’islam.

D’ailleurs, Sulayman Ibn Abd Al Wahhab, le propre frère de Mohamed Ibn Abd Al Wahhab, n’eut de cesse de mettre en garde contre les dangers de division et de fracturation de la société induits par les discours extrémistes de ce gourou : « (…) Il n’y a pas en lui la moindre des qualités requises pour exercer la jurisprudence. (…) Pas (un seul individu) ne trouve grâce à ses yeux. Au contraire, tous sont pour lui des incroyants. Seigneur, ramène cet égaré sur le droit chemin » (1). Ainsi donc, le frère de Mohamed Ibn Abd Al Wahhab avait compris les graves menaces que constituait ce courant religieux fondamentaliste. L’histoire, hélas, allait largement lui donner raison…

Influence du wahhabisme

En effet, comme nous le savons, un siècle et demi plus tard, grâce à sa manne pétrolière, l’Arabie saoudite, pour étendre son influence, va diffuser le wahhabisme à travers tout le monde musulman, à la grande satisfaction des États-Unis qui ont vu dans ce courant exalté un rempart contre l’influence grandissante du nationalisme arabe socialiste, laïque et prosoviétique.

Aujourd’hui, l’islam sunnite, à l’échelle mondiale, est fortement marqué, en son cœur, c’est-à-dire dans sa pratique quotidienne, par l’influence du wahhabisme et ce bien plus que par l’islamisme porté essentiellement par la confrérie des Frères musulmans, interdite et pourchassée dans les régimes autoritaires et dictatoriaux du monde arabe ne supportant pas la concurrence politique qu’elle incarne.

En conséquence de quoi, il en résulte que ce regain de religiosité observé aujourd’hui dans notre pays chez une partie de la composante musulmane s’opère, en effet, sous l’influence directe ou diffuse du wahhabisme. Or, la théologie wahhabite s’apparente à une litanie d’interdits régentant totalement la vie des fidèles y compris dans des aspects que d’aucuns pourraient considérer comme anecdotiques.

Un séparatisme

Ainsi écouter des chansons, jouer des instruments de musique, souhaiter un bon anniversaire, fêter le Nouvel An, souhaiter « joyeux Noël », etc. sont des péchés exigeant une repentance. On voit, sur ces exemples, combien la doctrine wahhabite cultive un séparatisme qui ne dit pas son nom car elle tend à éloigner ses adeptes de la vie sociale.

Sur la tenue, un célèbre théologien saoudien, d’obédience wahhabite, justifia en ces termes le voilement des fillettes dès l’âge de 2 ans : « Si la fillette peut susciter un certain désir, ses parents doivent lui couvrir le visage et lui imposer le voile (…) pour ne pas tenter » (2).

Oui aujourd’hui, en France, le danger est double. En effet, il réside tout d’abord et indéniablement dans la diffusion de cette lecture anachronique et dévoyée de l’islam. D’autre part, ce danger se niche aussi dans la réponse politique qui, par facilité, par démagogie, par populisme, peut verser dans la surenchère et la caricature.

Combat théologique

Enfin, il est important de comprendre la quête légitime de sens, voire de transcendance d’une partie de notre jeunesse. Nous devons à tout prix éviter de fragiliser notre pays en pointant du doigt un pan de la population qui peut avoir l’impression d’être stigmatisée par une parole publique surtraitant les sujets liés à l’islam. Il appartient, en revanche, aux leaders et réformistes musulmans de mener le combat théologique afin de démontrer aux croyants de cette religion les errements du wahhabisme.

Dans un État laïc, ce n’est pas aux responsables politiques de rentrer dans l’arène religieuse pour croiser le fer mais bien aux croyants eux-mêmes. Et n’oublions pas que plus l’on stigmatise, plus on ouvre des boulevards aux tenants du séparatisme que sont les wahhabites. Car l’ennemi, ne nous y trompons pas, c’est bien le wahhabisme qui, par le bas, transforme les âmes alors que l’islamisme tente, par le haut, c’est-à-dire le pouvoir, de triompher. Il importe donc de bien dire les choses car « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

(1) Mirani Moulay Rachid, La Géopolitique du conflit confessionnel au Moyen-Orient : Le wahhabisme et le chiisme duodécimain, Thèse, université Bordeaux 4, 2014, p. 146.
(2) Un prédicateur saoudien préconise de voiler les fillettes dès 2 ans – Libération.
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