Tribune

Sommet de l’Otan : « Trump a fait son show pour soigner son image de maître du monde »

Général Jérôme Pellistrandi
Rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale
Pour le général Jérôme Pellistrandi, les Européens ont réussi à ne pas se mettre à dos Donald Trump lors du dernier sommet de l’Otan. (Illustration : portrait de famille lors du sommet de l’Otan, le 25 juin)
Pour le général Jérôme Pellistrandi, les Européens ont réussi à ne pas se mettre à dos Donald Trump lors du dernier sommet de l’Otan. (Illustration : portrait de famille lors du sommet de l’Otan, le 25 juin) ERIC LALMAND / BELGA/MAXPPP
Le sommet de l’Otan, qui s’est clôturé ce mercredi 25 juin, a été une réussite, analyse le général Jérôme Pellistrandi. Pourtant, si le camp européen est parvenu selon lui à ne pas se mettre à dos l’allié américain, de nombreuses interrogations demeurent. Notamment la question d’une autonomie stratégique européenne.

Jamais un sommet de l’Otan n’avait été attendu avec autant de craintes au regard des positions disruptives de Donald Trump, arrivé il y a désormais six mois à la Maison-Blanche. Ses critiques à l’égard de l’Alliance et des Européens, qu’il méprise, faisaient attendre le pire pour des alliés déboussolés depuis la guerre engagée contre l’Ukraine le 24 février 2022. Guerre en Europe, guerres au Proche- et au Moyen-Orient, guerre économique avec l’allié de toujours, les États-Unis, remise en cause du droit international, marginalisation de l’Europe sur l’échiquier mondial.

À cela se rajoutait l’ambiguïté de la relation entre Donald Trump et Vladimir Poutine, le premier cherchant un « deal » à tout prix et le second droit dans ses bottes et exigeant la capitulation de l’Ukraine. On s’inquiétait également de l’impact de la guerre de « douze jours » avec un président américain sûr de son fait et de plus en plus arrogant, voire grossier.

Paradoxalement, le sommet de La Haye s’est plutôt bien passé, tous les participants exprimant leur satisfaction, après avoir tant craint l’échec. Pour Trump, il a imposé son point de vue en exigeant une hausse « quasi exorbitante » des dépenses de défense des pays européens pour atteindre 5 % du PIB à l’horizon 2035, dont 1,5 % pouvant être affecté à des infrastructures favorisant par exemple la mobilité stratégique sur le continent européen. Pour la France, cela pourrait se traduire par un financement du contournement ferroviaire de Lyon qui constitue un goulot d’étranglement.

Mais il faut rester prudent sur l’effectivité d’une telle décision. Déjà, atteindre le seuil des 2 % a été laborieux et certains États comme l’Espagne ou la Belgique ne l’ont pas encore atteint. Et il y a une différence entre les discussions entre pairs lors du sommet et l’acceptation citoyenne dans les pays concernés. Pour cela, il importe de bien comprendre pourquoi l’augmentation des budgets consacrés à la défense est absolument indispensable et urgent, face à la menace croissante que la Russie fait peser contre l’Europe.

Article 5 contre F-35 ?

Pour les Européens, il y avait le raffermissement du soutien américain à l’Otan et le confortement de l’article 5, qui prévoit un soutien mutuel en cas d’agression extérieure. Donald Trump avait d’ailleurs exprimé son interrogation sur l’automaticité de cet article à peine quelques heures avant d’arriver à La Haye. Finalement, les États-Unis maintiennent leur participation à l’Alliance et ne remettent pas en cause cette clause, même s’il est vraisemblable que la présence américaine sur le continent européen soit revue à la baisse.

Maintenant, le sommet a été marqué par une forme d’acceptation par les Européens des exigences américaines, et de nombreuses interrogations demeurent. Tout d’abord, dans le cadre du volet budgétaire, les futurs investissements européens seront-ils européens ou en faveur de l’industrie de défense américaine. Article 5 contre F-35 ? La France souligne – et ce depuis des années – le besoin d’une autonomie stratégique européenne confortant d’ailleurs notre base industrielle et technique de défense (BITD), celle-ci devant être confortée au niveau européen.

Les divergences sont fortes, comme on peut le voir par exemple autour du programme du Scaf (système de combat aérien du futur) où les approches française et allemande sont très différentes quant à la nature du projet. Ensuite, de nombreux pays européens restent persuadés qu’acheter américain conforte leur protection par les États-Unis. Des « deals » que Donald Trump espère bien récolter à l’issue de ce sommet.

Un show voulu par Trump

D’autres interrogations demeurent, comme le soutien à l’Ukraine face à la Russie. Certes, Donald Trump a reçu le président Zelensky, mais la certitude d’une aide américaine dans la durée n’est pas garantie. Ainsi, Vladimir Poutine a été relativement épargné lors des discussions, alors même que les dernières semaines ont été terribles pour les Ukrainiens avec des bombardements sur les grandes villes faisant des dizaines de victimes, dans l’indifférence quasi généralisée des opinions publiques totalement focalisées sur la guerre entre Israël et l’Iran.

Finalement, ce sommet a été une réussite, répondant au besoin du show voulu par Trump pour soigner son image de maître du monde, tandis que les Européens se satisfont de ne pas avoir été abandonnés par l’allié américain. Reste que la guerre imposée par Moscou à l’Ukraine est une réalité dramatique et que celle-ci est une menace pour toute l’Europe. Reste qu’il faut convaincre nos opinions publiques que dépenser dans la défense, c’est garantir notre sécurité pour les années à venir face à des puissances prédatrices. Reste que notre propre sécurité est à conforter en réfléchissant et en agissant à une échelle mondiale. Tout cela pour éviter que l’Europe ne soit la proie des ambitions des nouveaux empires pour qui la force prime désormais sur le droit.

OSZAR »