Les évêques n’ayant pas d’enfant – on trouverait bien des exceptions dans la longue histoire de l’Église, pourrait-on me rétorquer avec malice – la succession apostolique est le nom que l’on donne, non pas à un acte juridique portant sur un héritage mais à la chaîne humaine formée par les évêques successifs. Chacun d’eux a reçu l’ordination épiscopale par l’imposition des mains d’un évêque qui a été ordonné avant lui. D’évêque en évêque, d’ordination en ordination, on remonte aux apôtres. Il s’agit donc d’une sorte d’hérédité ecclésiale, de génétique spirituelle qui nous raccroche aux apôtres et à travers eux au Christ lui-même.
L’élection du pape Léon XIV nous fait sentir la force de cette fidélité historique. Non seulement, parce qu’en tant qu’évêque de Rome, le pape est un maillon de cette chaîne mais en plus en adoptant un nom nouveau, il s’inscrit dans une lignée de pape. Léon XIV est en effet Léon le 14e du nom. Son histoire commence donc au temps d’Attila en 452 dont on dit que Léon 1er a arrêté la folie destructrice. Léon 1er, surnommé dès lors Léon le grand, en agissant ainsi, a sauvé Rome.
Ce fil des papes Léon se déroule jusqu’à Léon le 13e, l’avant-dernier de la liste. Ayant vécu au XIXe siècle, celui-ci fut le pape qui insista sur la dimension sociale de la foi, celui aussi qui témoigna d’un grand respect pour les rites orientaux, pour ne citer que deux points que Léon XIV, lui-même, a tenu à souligner.
Au-delà de cette pratique mémorielle de cette manière de véhiculer l’histoire à travers les siècles, ne nous faut-il pas repérer la fécondité spirituelle de cette filiation ? Il y a là une invitation à lire notre propre histoire spirituelle. D’où vient notre foi et vers qui se dirige-t-elle ? Car si la foi est un don de Dieu, elle ne tombe pas du ciel, elle emprunte un chemin terrestre pour venir jusqu’à nous, fait de témoins aux récits particuliers. Ce chemin peut s’emprunter en remontant jusqu’à l’époque des apôtres. Ils ont répandu la parole du Christ ; ils l’ont imité dans leur manière de vivre comme, bien souvent, de mourir ; ils ont été suivis par d’autres et c’est ainsi que nous avons reçu l’Évangile non pas comme un texte mais comme une parole sans cesse réactualisée. Qu’en tirer comme leçon ? Que cette mission de transmission continue et que nous sommes nous-mêmes pour d’autres des vecteurs de cette succession apostolique qui ne dit pas son nom.