Tribune

« Donald Trump n’est pas l’avenir de la droite, mais son impasse »

Elizabeth Sheppard Sellam
Maitresse de conférence de science politique à l’université de Tours, spécialiste des États-Unis et des relations internationales
Des personnes portant des masques de Trump lors de la Conservative Political Action Conference 2025, à Oxon Hill (Maryland), le 21 février. 
Des personnes portant des masques de Trump lors de la Conservative Political Action Conference 2025, à Oxon Hill (Maryland), le 21 février.  Sipa USA / Graeme Sloan/Sipa USA/Reuter
Elizabeth Sheppard Sellam conteste l’idée selon laquelle Donald Trump serait l’héritier du conservatisme classique aux États-Unis. Elle met en lumière une droite « trumpisée », revancharde et autoritaire, qui vide le mot « conservateur » de son sens historique et menace ainsi l’avenir du parti.

« Le libre-échange, c’est gagnant-gagnant », déclarait Alain Madelin, le 20 avril dernier, sur un plateau de télévision. Cette phrase, simple en apparence, résume pourtant tout un pan de l’histoire intellectuelle de la droite occidentale : confiance dans le marché, foi dans les vertus de l’échange, et attachement aux règles du jeu. J’ai grandi à l’époque de Reagan, bercée par cette idée que l’Amérique était le beacon in the dark, le phare du monde libre.

Mais ce phare s’est éteint. Et il ne s’est pas éteint tout seul : il a été sabordé. Par Donald Trump, notamment, qui prétend incarner la droite mais qui, à bien des égards, en trahit les fondements. Protectionnisme économique, culte de la personnalité, mépris des contre-pouvoirs, hostilité envers l’armée, rejet du soft power et retrait des grandes enceintes multilatérales : Trump est moins le continuateur de Reagan que son contraire. Il est plus urgent que jamais de rappeler ce que fut le libéralisme conservateur, et de mesurer ce que le trumpisme détruit.

En 2016, nombre de conservateurs sincères, aux États-Unis comme en Europe, ont voulu croire à une renaissance : retour de l’autorité, réduction des impôts, patriotisme assumé, souveraineté retrouvée. Trump maniait les codes de la droite, mais il en pervertissait déjà l’ADN. Neuf ans plus tard, l’illusion est dissipée. Trump n’a pas reconstruit la droite : il l’a reconfigurée à son image – impulsive, revancharde, autoritaire.

Protectionnisme punitif

Sur le plan économique, sa dernière guerre commerciale est emblématique. Présentée comme une stratégie nationaliste, elle laisse aujourd’hui des cargaisons entières bloquées dans les ports, provoque des retards de livraison, fait annuler des commandes chez Boeing et pénalise directement les ménages américains. Ce protectionnisme punitif, hérité d’un vieux marxisme de guerre, n’enrichit personne : il désorganise, renchérit, appauvrit. L’économie n’est plus un vecteur de liberté, mais un outil de représailles.

Plus fondamentalement encore, Trump tourne le dos à tout ce qui a permis à l’Amérique d’imposer ses valeurs. Le soft power américain – cette capacité d’attraction par la culture, le droit, l’universalisme, les alliances, les normes – a été patiemment construit comme un rempart contre les alternatives autoritaires. C’est lui qui, de 1945 à 1991, a pesé face à Moscou ; c’est lui qui, après le 11-Septembre, a permis à Washington de bâtir des coalitions.

Ce capital d’influence, Trump l’a méthodiquement dilapidé. Par désintérêt, par réflexe isolationniste, par narcissisme. Il a tourné le dos à l’ONU, dénigré l’Otan, humilié ses alliés, réduit les budgets diplomatiques, et remplacé les diplomates par des tweets. La diplomatie est devenue une foire d’empoigne, et l’Amérique, au lieu d’être un modèle, est devenue un spectacle.

Stabilité, liberté et responsabilité

Trump n’est pas un conservateur. Un vrai conservatisme s’appuie sur le respect des institutions, la continuité, l’ordre, la mesure. Lui gouverne par bravade, contourne la justice, manipule les foules, dénigre l’armée – pourtant pilier du patriotisme traditionnel. Rappelons ses propos méprisants envers les vétérans, ses purges au sein du Pentagone, ses attaques contre les officiers critiques, et la baisse de la préparation militaire. Qui peut encore croire qu’il incarne la défense de la nation ?

Son modèle n’est pas Reagan, mais Orban. Pas Thatcher, mais Bolsonaro. Sa vision n’est pas celle d’un monde libre fondé sur la coopération, mais d’une citadelle assiégée, repliée sur elle-même, en guerre contre tout : la presse, la justice, les élites, l’ordre international. La confusion actuelle entre droite classique et populisme radical n’est pas seulement une erreur idéologique. C’est un danger pour la démocratie libérale. Quand Trump s’empare du mot « conservateur », il le vide de tout contenu. Et quand une partie de la droite européenne s’en inspire, elle se détourne de ce qui a toujours fait sa force : l’attachement à la liberté, au droit, à la nation responsable.

Trump n’est pas l’avenir de la droite. Il en est l’impasse. Pour exister demain, la droite ne doit pas se trumpiser, mais se ressourcer. Elle doit cesser de courir après les extrêmes, et redevenir ce qu’elle fut : une force de stabilité, de liberté et de responsabilité.

OSZAR »